1957. Un samedi de printemps. Nous avions déposé ma mère devant l’Innovation, au Boulevard Tirou à Charleroi. Je ne saurai jamais s’il avait préparé son coup, mais après avoir parqué la Mercedes 170S familiale, mon père m’avait dit d’un air très détaché «Tiens, on pourrait aller voir si la voiture est arrivée ». Je savais qu’il avait commandé une nouvelle 180D, mais à six ans c’était assez abstrait pour moi.
Nous avons donc fait les 2 ou 300 mètres qui nous séparaient du Garage du Moulin, concessionnaire Mercedes réputé dans les années ’50. Le bâtiment existe toujours, il a été réaménagé en parking public et est devenu, avec beaucoup de logique, le parking du Moulin.
« Oui Monsieur, elle est là ». Nous avons grimpé la rampe et sommes arrivés devant trois ou quatre voitures recouvertes de housses, garées en épis. « Je crois que c’est celle-ci ». Le type en blouse blanche qui nous précédait a soulevé un coin de bâche dévoilant une aile grise. « Ah non, alors c’est celle-là ». Et c’était celle-là. Il a découvert « notre » 180D. Ru-ti-lan-te dans sa robe noire contrastant à merveille avec ses sièges rouges. Je me souviendrai toujours de cette image, un de ces flashs qui créent les passions. Elle était magnifique cette bagnole, à mes yeux en tout cas, car il existait bien plus chic dans la gamme ! Ca ne se voit pas sur la photo, mais je suis au volant. Et très fier. A mes côtés, ma mère porte un bébé, mon frère. La photo date de l’été ’57, elle a été prise par mon père à Saint-Servais.
Elle roulait bien la 180D, mais un diesel de 42 chevaux pour 1220 kg, c’était pas vraiment un foudre de guerre. Pour doubler un lambin dans une côte, il fallait ruser en prenant un bon l’élan!
Mon père s’est pourtant honorablement classé, peut-être même a-t-il gagné mais je n’oserais pas l’affirmer, un rallye de régularité de nuit organisé par l’Ecurie Charbon-Acier. Il avait fait placer pour l’occasion deux gros antibrouillards Willocq-Bottin sous les phares d’origines, dédaignant les creux sous les ouïes car il les voulait plus écartés. Ils lui ont peut-être donné des ailes ce jour-là, mais cela devait rester assez relatif. Il a travaillé un moment avec un homme d’affaire alsacien qui venait à la maison en cabriolet 300SL rouge. C’était la toute grande classe, j’étais admiratif mais pas envieux. Je me souviens qu’il vexait mon père jusqu’à la moelle, lorsqu’il lui disait « allez-y déjà, je vous rattraperai»!
Sur la route, je comptais les Mercedes que je voyais, à Bruxelles je notais dans un petit calepin les numéros des taxis jaunes et je dévorais, en vrai petit fanatique « In Aller Welt », la revue de la marque truffée de photos à faire rêver. Je dois aussi à cette voiture mes premiers mètres de conducteur! Mon père m’avait assis sur ses genoux, il actionnait les pédales et je tenais le volant, en ligne droite, évidemment. Nous avons fait cent mètres avant de tomber sur… un policier bienveillant!
Le compteur a passé le cap des 100.000, puis des 200.000 kilomètres, étapes ponctuées par un insigne sur la calandre, un pin’s en or ou presque à la boutonnière paternelle et un beau diplôme qui doit encore traîner quelque part. Puis la 180D n° 120.110.7513593 a été vendue à un fermier pour laisser le garage à une 220S rutilante à son tour, mais c’est une autre histoire…
Lorsque Michel Dartevelle m’a montré son acquisition, ces souvenirs ont refait surface. Ce n’est pas elle, celle-ci roule à l’essence, mais la carrosserie est identique. Maintenant qu’elle est restaurée, elle ressemble plus encore à mon coup de cœur d’enfant…