Pegaso, c’est avant tout des camions !
En marge de l’exposition Pegaso d’Autoworld, il nous semble utile de rappeler que cette marque espagnole est surtout connue par les professionnels de la route et sans vouloir offenser quiconque, les voiture de sport Pegaso ne furent hélas qu’un épiphénomène peut-être exaltant mais malheureusement sans lendemain. Présenté en même temps que les 14 voitures de l’exposition, votre serviteur se penchera donc sur l’origine de la lignée du seul camion Pegaso présent à cette brillante exposition.
De la Fundación Hispano-Suiza à Pegaso
Mais pour bien comprendre sa genèse, il faut remonter aux années trente, à l’époque où la firme Hispano-Suiza, fleuron de l’automobile espagnole, périclitait suite à la proclamation de la seconde république espagnole le 14 avril 1931. Suite à ce changement de régime, Hispano-Suiza qui a toujours été associée à la haute bourgeoisie, voit ses ventes en Espagne fondre comme neige au soleil si bien que l’usine de Guadalajara doit être vendue à Fiat. Entre 1931 et 1934, les constructions se poursuivent vaille que vaille. Un malheur n’arrivant jamais seul, fin 1935, Damián Mateu, le président de la société, décède. Son fils Miguel Mateu lui succède mais les conditions économiques se dégradent et les prémices de la guerre civile se font déjà sentir comme la nationalisation des usines catalanes d’Hispano-Suiza et leur gestion par des comités d’ouvriers.
En juillet 1936 éclate la guerre civile qui allait durer jusqu’en avril 1939 avec la défaite des républicains et l’établissement de la dictature du Général Franco. Après la guerre et vu l’isolement politique du pays, l’industrie espagnole doit se suffire à elle-même et en même temps, participer au redémarrage des activités économiques les plus urgentes. C’est ainsi que la firme se tourne vers la fabrication de véhicules utilitaires. En 1940, le gouvernement de Franco lance un appel d’offres pour un camion de 7 tonnes de charge utile qui devra obligatoirement être construit en Espagne. Entretemps, en septembre 1941, une loi créée l’Instuto Nacional de Industria (INI) pour rationaliser l’industrie nationale. C’est ainsi qu’Hispano-Suiza présente et remporte le marché en 1946 avec son camion type 66 étudié après une collaboration éphémère avec Alfa Romeo.
Avec ses 7 tonnes de charge utile, le Type 66G avec G pour Gasolina (essence) était un véhicule qui correspondait aux exigences de l’époque. Il était équipé d’un compartiment passager moderne qui permettait même de disposer d’une couchette derrière les sièges du conducteur et du convoyeur. Il était propulsé par un 6 cylindres en ligne à essence de 5,1 l développant 110 ch à 3250 rpm. Il disposait de six vitesses avec réducteur à chaque rapport et ses freins arrière étaient déjà pneumatiques.
La nationalisation pointe à nouveau son nez et la direction de l'INI, estime qu’il ne devait comprendre qu'une seule grande entreprise nationale et nationalisée. C’est chose faite en 1946 avec la nationalisation de l’usine d’Hispano-Suiza à Sagrera près de Barcelone et la création de la société nationale ENASA (Empresa Nacional de Autocamiones, S.A.). Mais cela ne veut pas dire l’extinction d’Hispano-Suiza Fabrica automoviles SA qui a poursuivi ses activités de son côté comme des machines outils et même des microcars à partir de 1956.
Cette nouvelle société est dirigée par l’ingénieur Wifredo Ricart, un transfuge d’Alfa Romeo. Il choisit comme sigle Pégase, le cheval ailé de la mythologie gréco-latine. C’est ainsi que la marque Pegaso est née et que l’Hispano-Suiza type 66G devint le Pegaso I surnommé aussi Mofletes à cause de ses « joues » avant gonflées comme celles d’un hamster…
En 1947 Pegaso présente le Pegaso II Z-203, une évolution du Pegaso I. Sa cylindrée est à présent 5,65 l tout en gardant la même puissance mais à 2750 rpm. Mais tout n’était pas rose : ce camion consommait environ 45 l/100 km alors que l’essence était rationnée à 1500 l par mois par camion ! Par ailleurs, bien qu’il s’agisse d’un camion très perfectionné pour l’époque, sa fiabilité mécanique laissait beaucoup à désirer, notamment en raison de l’usure
prématurée des segments et de la rupture des joints d’étanchéité de la culasse.
Une version diesel de meilleure réputation verra le jour en 1951. Cette dernière était propulsée par un six cylindres en ligne à injection directe de 9347 cm³ développant 125 ch à 1850 rpm. Sa vitesse maximum était de 70 km/h et sa consommation de 28 l/100 km. En 1954, sa puissance passa à 140 ch à 1950 rpm.
En jetant un coup d’œil à la calandre, il est facile de déterminer si le modèle fonctionne avec un moteur à essence ou diesel. Dans le cas d'un moteur à essence, elle aura 9 barres horizontales tandis que la version propulsée par le moteur diesel arbore une calandre à 13 barres.
Chose curieuse, ces camions étaient équipés d’un volant situé à droite afin de permettre au conducteur de suivre plus facilement le coté de la route et d'éviter les dépassements car on pensait qu'un véhicule lourd n’a jamais besoin de doubler d'autres véhicules… ce qui était sage vu l’état des routes à l'époque.
Ce camion servira de base à plusieurs modèles d'autobus et de trolleybus qui resteront actifs jusque dans les années 1960.
Ces camions ont été fabriqués en plus de 2000 exemplaires toutes variantes confondues dont un prototype à propulsion électrique (déjà !). Leur production s’est arrêtée en janvier 1959.
La production des camions se poursuivit avec l’apparition en 1956 du Z-207 "Barajas" qui était propulsé par un excellent moteur diesel V6 de 7,5 l développant 110 puis 120 ch pour une vitesse maximum de 90 km/h. La calandre reprend la croix que l’on a déjà remarquée sur les voitures de sport : celle-ci a été reprise aujourd’hui par certaines Dodge.
Dans les années 1960 et 1970, Pegaso a suivi le rythme élevé du développement économique de l'Espagne. Retenons le lancement du Comet en 1964 dont un exemplaire était exposé à l’Autoworld. Le trafic avec la Communauté économique européenne permettra de découvrir le tracteur 2011, véritable faire valoir de Pegaso.
Au cours de ces années, Pegaso commercialisait une gamme complète de véhicules utilitaires. Le haut de gamme était des semi-remorques 8x4, des tracteurs semi-remorques 6x4, des tombereaux 6x6 et des véhicules blindés militaires, des autobus articulés à trois essieux; tous propulsés par des moteurs Pegaso développant jusqu'à 352 ch.
Pegaso ayer, Iveco hoy
Dans les années 80, souffrant de la saturation du marché européen des poids lourds, l’ENASA réalise des accords avec d'autres constructeurs de poids lourds comme DAF Truck. Après une prise de contrôle conjointe avortée par Daimler-Benz et MAN, IVECO a finalement acheté l’ENASA en 1990.
Peu de temps après la prise de contrôle par IVECO, la plupart des Pegaso ont disparu du marché. Et le 12 juillet 1994, le dernier Pegaso quitte l’usine.
Signalons aussi qu’en rallye, des camions à traction intégrale Pegaso ont remporté en 1985 le Rallye des Pharaons et en 1986, le Paris-Dakar.
Et enfin, en 2016, IVECO a célébré les 70 ans de Pegaso en lançant une série spéciale appelée le Stralis XP Pegaso. Pour les connaisseurs, il s’agit d’un Cursor 13 de 570 ch avec une boite ZF automatisée. Reprenant l'emblème de la marque ibérique, 140 camions ont été construits et uniquement réservés à l'Espagne.
Benoît Piette
Bibliographie
http://www.pegasoesmicamion.com/
http://www.camionesclasicos.com
https://www.camionactualidad.es/
https://www.youtube.com/watch?time_continue=3&v=Dqs5WG8bc2w (70 ans de Pegaso)