Alexandre Arnold Constantin Issigonis est né à Smyrne en 1906, d'un père britannique d'origine grecque et d'une mère bavaroise. Il n’a pas vu une seule automobile avant l’âge de 12 ans, ce qui lui donnera plus tard une créativité sans préjugés. En 1922, le conflit opposant la Grèce à la Turquie pousse sa mère, devenue veuve, à profiter de leur nationalité anglaise pour rejoindre Londres. Il s'inscrit à l'examen d'entrée de l'école polytechnique de Battersea, qu'il rate trois fois, plus porté vers le côté pratique que vers les maths qu’il considère comme « l’ennemi de tout homme réellement créatif ». On le retrouve à la même époque au départ de quelques compétitions locales, mais sans résultats probants.

Madame Issigonis achète une Singer 10cv Weymann avec laquelle ils voyagent durant trois mois, histoire de faire connaissance avec l'Europe. Au retour, il entre chez Edwart Gillet pour étudier un système d'assistance d'embrayage. Il est alors en contact avec Chrysler et Humber, intéressés par ce projet. Humber l’engage alors pour étudier une nouvelle suspension à triangle supérieur et ressort à lame transversal. En 1936, sa réputation montante lui permet d’entrer au département « études » chez Morris et de devenir, deux ans plus tard, chargé de tous les projets de la marque.

Mais Issigonis rêve de concevoir une automobile complète. Il réalise avec son ami George Dowson une voiture de course, la "Lightweight Spécial". Elle a pour particularités une suspension composée d'anneaux de caoutchouc (déjà...), et un dispositif permettant une modification rapide du carrossage des roues.

La première voiture de série entièrement pensée par d'Alec Issigonis est la Morris Minor, grand succès de l’industrie britannique, produite de 1948 à 1971.Sans être révolutionnaire, elle possédait une caisse très rigide pour son poids et une suspension à roues indépendantes.

Lors de la fusion de Morris et Austin en 1952, des tensions se créent entre les employés des deux marques anciennement rivales. Issigonis quitte le groupe pour Alvis qui désire créer une V8 de sport, un projet qui n’aboutira pas. Il revient alors chez Austin-Morris, fraichement rebaptisé British Motor Corporation.

Sur fond de crise de Suez, Sir Leonard Lord, le patron de la BMC, demande à Issigonis de plancher sur une voiture économique pour 4 adultes et leurs bagages, avec pour seule contrainte d’utiliser un moteur déjà fabriqué par la firme. Devant cette carte presque blanche, Issigonis griffonne quelques croquis. L’étude portera le nom de XC9003, puis ADO15, ado signifiant « Austin Design Office ». Comment obtenir un grand habitacle dans une petite voiture ? L’idéal serait de placer l’ensemble moteur/boîte en position transversale, mais c’est trop long par rapport à la voie de la voiture. Pour réduire la longueur du moteur, un bicylindre (un 4 cylindres d'A35 coupé en deux!), est testé dans une Minor mais les limites du moteur montrent très vite que ce n'est pas la solution.

Arrive alors l’idée de génie : placer la boîte sous le moteur, et réaliser un ensemble transversal peu encombrant et léger, solution reprise depuis sur toutes les petites voitures du monde. Chaque problème trouve alors sa solution: comment diminuer la taille des passages de roues? En utilisant des jantes de 10 pouces, même s’il faut convaincre Dunlop pour les pneus et Lockheed pour les freins. Où placer le radiateur? De profil en y ajoutant un ventilateur. Comment obtenir une habitabilité optimale? En plaçant les roues aux quatre coins et en réduisant la planche de bord à sa plus simple expression. Comment rendre une voiture de faible empattement confortable? Grace à une suspension composée d’éléments en caoutchouc...

La voiture est élaborée en un temps record, entre mars et octobre 1957. Fin 1957, deux prototypes roulent. En juillet 1958 Issigonis invite Leonard Lord à faire un petit tour sur les routes qui environnent l’usine. Il est séduit par sa modernité mais inquiet tant elle est révolutionnaire ! Surmontant non seulement les problèmes techniques mais aussi une risée quasi générale, Alec Issigonis présenta sa Mini le 18 août 1959.

Le monde de l’automobile passera rapidement de la raillerie à l'admiration, car elle est terrible, cette voiture-jouet ! Grande à l'intérieur, petite à l'extérieur, confortable, puissante, basse et légère, elle dispose en plus d'une très bonne tenue de route. La stupéfaction viendra des résultats en compétition, lorsque qu’équipées de moteurs boostés par John Cooper, elles ridiculiseront leurs concurrentes, allant jusqu'à gagner le Monte-Carlo!

Issigonis est anobli par la Reine Elisabeth II en 1969, pour services rendus à l’Etat. Il faut dire que la Mini est devenue un fleuron de l’Angleterre « in », au même titre que les Beatles et les petites robes de Carnaby Street.

Issigonis dirige le bureau d’étude Austin durant les années soixante, et tente d’appliquer l’alchimie de la Mini aux berlines 1100-1300, à la 1800 Balanza, à la Maxi et à la 3 Litres, mais ses principes ne semblent pas convenir à de plus grosses voitures. Manifestement la veine s'épuise, l'homme aussi. Il prend sa retraite en 1971, avec le plaisir de voir sa Mini toujours en production.

Décédé le 2 octobre 1988, l’inventeur de l’automobile moderne a donné bien du plaisir aux "jeunes" de tous âges à qui il a laissé plus de 5.300.000 Mini, de la sage 850 à la Cooper S, de la Moke à la Marcos, etc…

Jacques Bougnet